Intuitu personae

Lecteurs adorés, bien que je n'aime pas du tout me raconter, voici quelques réflexions personnelles, sans grand intérêt je le confesse, si ce n'est de vous sortir de la torpeur de vos révisions pré-CRFPA/CAPA (et moi aussi, par la même occasion!) :

Avez-vous déjà remarqué, amis juristes, le changement qui s'opère subrepticement lorsqu'à la question "que fais-tu dans la vie?" vous annoncez à votre interlocuteur que vous vous destinez à la profession d'avocat?

Généralement, je réponds simplement que je suis étudiant(e), en espérant couper court à la conversation.

Mais, loin d'être satisfait, le curieux revient souvent à la charge pour en savoir davantage sur le domaine concerné. Contraint(e) d'avouer que j'étudie le droit, je constate alors souvent la même réaction : 

Soudain, les questions fusent, m'obligeant à détailler, presque honteusement, tout mon cursus, à préciser mes domaines de prédilection....

Et concomitamment, l'inquisiteur, yeux écquarquillés, me jauge du regard, en m'examinant de la tête aux pieds, et en émettant toutes sortes d'onomatopées (des "Oh!", des "Ah!" et des "Humm!" ) incrédules...

La situation est évidemement d'autant plus gênante lorsque cela se produit en public, notamment lorsqu'à l'occasion d'un quelconque évènement dans votre petit village natal, votre propre famille, pourtant peu confiante au départ dans vos chances de réussite, s'est chargée, avant votre arrivée, de vanter vos mérites, ou encore au cours d'une soirée organisée par un ami, et que vous ne connaissez pas la plupart des invités.

Vous sentez alors toutes ces paires d'yeux vous dévisager, alors que vous ne rêvez que d'une chose, disparaitre.

Alors que votre embarras est à son comble, et que vous vous efforcez de trouver un autre sujet de conversation, vous voilà désormais obligé(e) de supporter les plaisanteries plus ou moins drôles sur les avocats, les clins d'oeil appuyés lorsque l'on vous dit pour la énième fois "tu nous feras un prix alors? HA HA!", ou encore les questions sur le niveau de vie des avocats...

Alors que vous pensiez que la séance de torture était arrivée à son terme, voilà qu'on vous questionne sur la profession de vos parents.

Vous voilà, contraint(e) et forcé(e), d'expliquer que vous êtes issu(e) de ce que l'on appelle pudiquement "un milieu modeste". 

Et là, immanquablement, le mot magique est lâché : "ascenseur social".

Cette expression m'agace quelque peu, dans la mesure où elle renvoie une impression de facilité, comme s'il avait suffi d'appuyer sur un petit bouton pour en arriver là. La réalité est moins romanesque dans mon souvenir.

J'ai dû, comme beaucoup d'étudiants, jongler avec les bourses du CROUS et les "jobs étudiants", notamment dans l'hôtellerie-restauration, ce qui m'a permis de découvrir certains aspects peu glorieux de la personne humaine (des clients kleptomanes volant draps/serviettes/couverts ou autres futilités, ou régurgitant dans la baignoire ou sur la moquette ("Bon appétit bien sûr!") et partant sans mot dire.

J'en garde pourtant de très bons souvenirs, pour avoir côtoyé des personnes d'horizons variés, et dotées de grandes qualités humaines.

Tous ces sacrifices n'ont bien sûr pas été vains, et je tire une certaine fierté d'en être arrivé(e) là aujourd'hui.

Bien qu'ayant conscience du chemin parcouru, et du fait que le milieu que je m'apprête à intégrer reste relativement élitiste (bien que la mixité sociale y soit grandissante), j'aspire à ce que l'on ne me regarde pas simplement à travers le prisme de ce statut social.

Je n'ai pas le sentiment d'avoir beaucoup changé depuis mon enfance, lorsque j'écorchais mes genoux en grimpant aux arbres pour engloutir avec bonheur les cerises et prunes du jardin familial...